Joséphine
A côté du rond-point, il y a une grande place. Sur cette place, un marché. Un marché de producteurs. Tous les samedis matin. Tous les samedis matin, sur cette grande place, à côté du rond-point, je croise Joséphine. Joséphine, elle est toute menue et traîne derrière elle un chariot qu’elle remplit de légumes de saison, de fruits mûrs à point, de plantes aromatiques. Joséphine, elle a les cheveux jaunes comme le soleil de cet hiver. Elle arrive très tôt le matin, certains maraîchers n’ont pas encore fini de déballer. Jamais elle ne s’impatiente, jamais ne passe devant personne ni ne discute un prix. Hier matin, je n’ai pas croisé Joséphine. Quelqu’un l’a vu faire plusieurs fois le tour du rond-point, puis disparaître sous les roues d’une voiture.
Pépé
Sur cette place, il y a Pépé. Pépé le Moko comme on l’appelle. Vous l’avez certainement rencontré : casquette en coton gris clair sur la tête, gitane dans un coin de la bouche, là où il lui manque une dent. Pépé, il aime passer des heures sur cette place, la place juste à côté du rond-point, là où il y a le marché le samedi matin. Pépé, il a son banc à lui, et n’aime pas en changer. Le sien, c’est celui qui tourne le dos au bureau de tabac. L’autre jour, alors qu’il commençait juste à traverser la place, il vit quelqu’un assis sur son banc. Il n’en crut pas ses yeux. Non d’une pipe ! Qui cela pouvait-il bien être à une heure aussi matinale ! Il s’avança comme un matou, mordant sur sa gitane et grommelant entre ses dents jaunies. Pépé avait la vue qui avait bien baissé ces derniers temps. À deux mètres seulement du banc, il la reconnut : Joséphine !
– Alors, t’es pas morte ? lui lança-t-il en guise de bonjour.
Chantal Roy, le 22 octobre 2015
Document d’archives : Giratoire de Patrick Raynaud, place Louise Michel (1989)